Trois demis font quinze dixièmes

Il y a de cela deux semaines environ, un tweet faisait son apparition sur la toile. Son sujet : les fractions ! Il était en effet question de la démonstration de l’égalité de deux fractions, et c’est cette démonstration qui a fait parler.

Vous trouvez tout cela trop difficile ? Vous n’avez pas compris cette preuve ? Ou au contraire, vous ne voyez pas le problème que cet extrait peut causer ? Allons donc, explorons ce document.

Des nombres rationnels

D’abord, précisons qu’il s’agit là d’un extrait des Repères annuels de progression de 5e, que vous pourrez trouver dans leur intégralité à cette adresse. C’est donc un document à destination des professeurs mais les indications qui y figurent peuvent à tout moment être présentés à l’élève.

La démonstration s’appuie sur la définition du nombre \frac{a}{b} où a est un nombre entier (positif, pour commencer) et b est un nombre entier différent de 0. \frac{a}{b} est ainsi le nombre qui, multiplié par b, donne a.

Autrement dit, dans cette définition, ce \frac{a}{b} est un nombre à part entière, un nombre dit rationnel : il ne s’agit pas de diviser a par b, mais bien de la notation d’un nombre, tout comme π ou √2 et même 1 sont la notation d’autres nombres. D’ailleurs, que signifie mathématiquement « diviser », si ce n’est trouver un nombre qui, multiplié par un premier, en donne un deuxième ?

Prenons par exemple \frac{3}{2} : il s’agit du nombre qui, multiplié par 2, vaut 3 (plus communément écrit \frac{3}{2} \times 2 = 3. Seulement, lorsque l’on fait 1,5 \times 2, on obtient également 3. c’est tout simplement que \frac{3}{2} et 1,5 sont deux écritures différentes du même nombre.

Et dans cette démonstration, il s’agit justement de montrer qu’un nombre rationnel peut avoir plusieurs écritures.

Par définition, \frac{15}{10} est le nombre qui multiplié par 10, vaut 15. Oui mais voilà, si je prends \frac{3}{2} et que je le multiplie par 10, j’obtiens \frac{3}{2} \times 10. Or, 10 = 2 x 5, on en déduit que \frac{3}{2} \times 10 = \frac{3}{2} \times 2 \times 5$.

En revenant à la définition de \frac{3}{2}, on a alors que \frac{3}{2} \times 2 \times 5 = 3 \times 5 = 15. Autrement dit, \frac{3}{2} est, comme \frac{15}{10}, le nombre qui, multiplié par 10, vaut 15. Ces deux nombres sont donc égaux.

La démonstration peut se généraliser en utilisant le calcul littéral, mais je la laisse en exercice au lecteur. Rassurez-vous, le rapport préconise dans un premier temps de se limiter aux exemples comme celui-ci. Ouf.

Et pour l’élève alors ?

Cette vision vous a peut-être déstabilisé, et j’avoue que je l’ai moi-même regardé de travers dans un premier temps. Pour beaucoup, nous avons vu d’abord la représentation « à la grecque », c’est-à-dire une illustration géométrique des fractions.

L’approche géométrique possède plusieurs avantages, notamment en ce qui concerne les opérations sur les fractions, bien plus évidentes à mon goût avec cette illustration qu’en utilisant uniquement la définition.

Il ne faut pas pour autant jeter une énorme pierre carrée à l’approche plus numérique car elle présente, toujours selon mon avis, plusieurs avantages.

  • D’abord, elle introduit l’idée de démonstration. Et sur ce point, je pense qu’il est important de ne pas découpler les deux approches : du point de vue géométrique par exemple, on peut faire conjecturer aux élèves cette égalité des fractions, mais bien leur faire comprendre qu’un coup d’oeil de mathématiques ne suffit pas toujours. Peut-être que, grâce à cela, nous verrons moins de « le triangle est rectangle car j’ai mesuré un angle droit avec mon équerre » le jour du brevet…
  • Elle permet aux élèves de manipuler les nombres. Combien de secondes ai-je vu buter sur une simple équation « 2x=5 ». Autrement dit, quel est le nombre qui, multiplié par 2, donne 5 ? C’est la définition de 5/2 !
  • Toujours dans cette idée de nombre, on présente les fractions comme tel ! Là encore, même en 2nde, des élèves butent lorsqu’ils voient 1/3 et qu’il ne parviennent pas à s’en sortir. Faites comme les autres nombres, puisque c’en est un !

Ajoutons également que cette approche n’a pas pour but d’éclipser les autres. Les égalités de produit en croix ou les simplifications par un facteur commun ne sont pas jetés aux oubliettes et peuvent faire l’objet d’un développement de la sorte.

Bref, je ne vois pas de quoi s’alarmer : ce raisonnement, s’il est bien présenté, ne me semble pas si compliqué et confronte l’élève à de belles mathématiques. De toute manière, il ne s’agit là que de recommandations, et le professeur qui ne les apprécie guère pourra tout simplement les oublier… Mais ce serait fort dommage.

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2 commentaires pour Trois demis font quinze dixièmes

  1. Clo dit :

    Faudrait peut-être enseigner à nouveau avec de vrais élèves… Les théories sont belles mais si peu réalistes. Cet article m’a bien fait rire en attendant !

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    • Automaths dit :

      Zut, faire rire n’était pas le but premier, je me suis donc planté !
      Je ne crois pas pour autant que cette version soit si inaccessible pour les élèves. Le concept n’est pas si compliqué que cela, en tout cas, pas plus que ce qui se fait « d’habitude ».

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